Un certain nombre d’évènements et d’écrits parus récemment nous donnent l’occasion de faire un point indispensable sur ce qui nous distingue, nous Juifs laïques de gauche, sur le conflit Israélo-Palestinien, d’une certaine gauche telle qu’elle s’exprime entres autres dans les revues d’extrême gauche ou dans Le Monde diplomatique, dans les partis tels que les verts, le parti communiste, ou chez certains socialistes, dans la mouvance alter-mondialiste ou encore dans des pétitions telles que « une autre voix juive », gauche que nous appellerons, pour les besoins de l’exposé, la G.U.P.P, la gauche uniquement pro-palestinienne. Pour cet article, nous nous sommes appuyés essentiellement sur un texte d’A.GRESH paru dans le courriel d’information d’ATTAC N°367 intitulé « le mouvement antimondialisation libérale et la Palestine », texte particulièrement représentatif du courant alter-mondialiste, mais aussi plus largement d’une grande partie de la gauche.
C’est en tant que Juifs tout d’abord que nous voulons nous exprimer, en faisant le constat de ce que nous vivons en France depuis plus de deux ans. En tant qu’hommes et femmes de gauche ensuite, en appelant la gauche à faire sauter un certain nombre de verrous idéologiques(deux verrous au moins) qui la rendent, à notre sens, incapable d’appréhender le conflit Israélo-palestinien de manière correcte et qui l’amènent parfois sur des voix extrêmement dangereuses.
Une petite remarque au préalable. L’antisémitisme de gauche, qui existe de toute évidence, même s’il se dissimule derrière des causes en apparence plus nobles, n’est pas ici notre propos. Il mériterait à lui seul un dossier à part. Le but de cet article, qui veut éviter le simplisme, la polémique et les phantasmes, est d’aborder les questions de fond et, pourquoi pas, d’entamer un dialogue avec les gens de bonne foi se réclamant de cette gauche...
Ce que vivent la plupart des juifs de France depuis plus de 2 ans peut se résumer en un mot : l’inquiétude. Beaucoup d’entre nous n’ont personnellement jamais été victimes de l’antisémitisme jusqu’à ces derniers temps et, pour la première fois, ont été pris d’une peur liée à leur origine. Certes ce n’est pas l’Allemagne des années 1930. Certes de nombreuses communautés vivent le racisme et la xénophobie au quotidien, et depuis plus longtemps. Que l’antisémitisme puisse être instrumenté, et ce n’est pas notre avis, n’empêche rien. La peur est là, elle existe, elle a des fondements et son expression mérite d’être entendue et expliquée. D ‘autant que cette peur a été accentuée par le sentiment d’une politique de l’autruche des pouvoirs publics (de gauche) et le silence assourdissant des Médias sur les réelles agressions subies par la communauté Juive. C’est donc en tant que Juifs très affectés par les évènements récents en France que nous voudrions nous exprimer sur ce conflit, l’inquiétude n ‘excluant pas la lucidité.
Il faut dire avec force, même si cela dérange : pendant 2 ans des attentats antisémites ont été commis, car c’est comme cela que cela s’appelle, et, pour la plupart, par des membres de la communauté Arabo-Musulmane, car c’est d’eux dont il s’agit. Les statistiques des deux dernières années sont formelles. Minorer ces évènements comme le fait par exemple D.VIDAL dans son livre « le mal-être des juifs de France... », est indigne. Bien sûr de multiples explications peuvent être apportées :Misère sociale et culturelle, échec de l’intégration, auquel au demeurant la mondialisation libérale ne serait d’ailleurs pas étrangère, sur-médiatisation du conflit ( il serait d’ailleurs intéressant de savoir pourquoi)…Il n’empêche, ces actes sont des actes racistes et doivent être condamnés comme tels. Or qu’a t-on entendu, pour ne prendre qu’un seul exemple, en lieu et place de condamnations nettes et sans ambiguïté :des propos scandaleux dignes du meilleur cru de la glorieuse époque stalinienne. Tenus par qui ? Un éminent récent responsable d’ATTAC. J’ai nommé José BOVE.Affirmer, comme il l’a fait, que ces agressions antisémites relevaient d ‘un complot fomenté par le Mossad Israélien, en plus d’être stupide, ne pouvait dangereusement qu’encourager, surtout dans la période où ils ont été prononcés, ces agressions judéophobes ? On n’a malheureusement rien entendu ni lu, venant d’ATTAC, qui condamne les propos de BOVÉ, propos qui sont l’exemple même des travers que l’association s’est elle-même donné comme mission de combattre : la pensée unique. Bien au contraire, quelques jours plus tard, José BOVE était promu au rang de membre permanent de l’association.
C ‘est parce que nous avons été profondément affectés en tant que juifs de gauche par l’attitude de la gauche, c’est parce que nous voyons autour de nous des amis et des proches, anciens militants de partis ou d’associations progressistes s’en éloigner de plus en plus, pour le moins désemparés par leurs prises de position et/ou leurs actions, que nous nous croyons le droit et le devoir d’appeler la gauche à un retour urgent sur elle-même et à faire son aggiornamento.
I. Premier verrou : la faiblesse de son analyse sur les mouvements d’émancipation nationale.
Il est frappant de constater le peu d ‘enseignement que la gauche a tiré des échecs des mouvements d’émancipation nationale.
Ainsi pour ce qui concerne le mouvement Palestinien, un constat s’impose dont il est urgent de tirer les leçons. Si l’on peut penser que le mouvement Palestinien était il y a quelques années dominé par une vision progressiste de l’avenir de la région à l’image de ce que furent les différents mouvements de libération nationale, on peut affirmer aujourd’hui qu’y sont prépondérants les courants, islamistes ou pas, qui ont opté pour le terrorisme, idéologie totalement contraire à toute idée de progrès, de paix et de démocratie. Ces courants sont représentés par le HAMAS, le DJIHAD ISLAMIQUE, et le HEZBOLLAH, mais également par une frange importante de l’O.L.P.
Quelles que soient les explications, et elles existent, que l’on peut donner à la progression du terrorisme, islamiste ou non, il ne peut en aucune manière souffrir la moindre justification. Il doit, une fois pour toutes, être considéré comme l’ennemi absolu de tout démocrate épris de paix. Rien ne le justifie, même pas la souffrance sociale. Rappelons-nous le nazisme et le fascisme, dans les années 1930, ont également prospéré sur le terreau de la misère sociale. Le front national a progressé lui aussi dans une France qui est passée en 30 ans de 250000 à 3 millions de chômeurs .Sont-ils justifiables pour un démocrate.
Le rapport D’AMNESTY INTERNATIONAL rendu public le 11 juillet 2002 affirme : « les attaques contre des civils menées par des groupes armés palestiniens…constituent, au regard du droit international des crimes contre L’humanité ». Cette qualification a été reprise par HUMAN RIGHTS et tout récemment par MEDECINS SANS FRONTIERE.
L’histoire nous a apporté un enseignement essentiel que tous les démocrates doivent absolument prendre à leur compte, sous peine de perdre leur âme : tout mouvement de révolte contre la misère, l’exploitation, la colonisation, peut prendre deux formes totalement opposées : une forme progressiste et une forme réactionnaire .Lutter pour la liberté, la paix et la justice sociale, c’est aussi avoir le courage d’affronter ce dernier courant avec autant de force que l’on combat l’oppresseur. Etre progressiste c’est aussi savoir dire que les opprimés n’ont pas toujours raison, que la forme que peut parfois prendre leur combat, peut avoir des conséquences pires que l’oppression qu’ils subissent. Apprenons à dire, une fois pour toutes, que le meilleur comme le pire peut se trouver dans les mouvements qui se réclament de l’émancipation des peuples.
Comme l’affirme à juste titre Alain GRESH sans malheureusement en tirer toutes les conséquences : « il faut savoir tirer les leçons de l’histoire … De l’Algérie au Vietnam en passant par l’Angola, la guerre de libération a entraîné la militarisation du politique. ». « Quand l’opprimé prend les armes au nom de la justice, nous dit A.CAMUS, il fait un pas sur la terre de l’injustice ». Lucide quant au danger, pour l’avenir des peuples qui luttent pour leur libération, de la violence, en tant qu’elle préfigure le régime politique mis en place par la suite, GRESH ne va pas jusqu’au bout dans la mesure où il refuse l’idée que tous les combats aux apparences libératrices peuvent prendre des formes dangereuses pour la liberté, la démocratie et la paix. Ce qu’il n’ose pas s’avouer, prisonnier qu’il est d’une certaine vision de la libération des peuples, celle des années 1960, c’est que le mouvement Palestinien a pris une tournure dangereuse, de plus en plus influencé par la mouvance islamiste radicale.
Force est de constater que, dans le monde Arabo-Musulman, et le mouvement Palestinien n’est pas épargné, s’est très fortement développée l’influence de l’islamisme radical, une idéologie religieuse ultra réactionnaire, totalitaire, anti-occidentale et judéophobe (Pour s’en convaincre, il n’est que de lire, par exemple la charte du Hamas). Je partage le point de vue de Jean DANIEL lorsqu’il affirme, dans un éditorial consacré à A.CAMUS, que la « philosophie tiers-mondiste qui consiste à uniformiser toutes les révoltes en les expliquant par une relation de l’opprimé avec l’oppresseur, si justifiée qu’elle demeure en bien des domaines, est loin de rendre compte de l’émergence des renaissances religieuses… », notamment, rajouterons-nous, quand ces renaissances religieuses concernent une religion, l’Islam, qui ne fait pas la distinction entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel , entre le religieux et le laïque, entre le public et le privé, distinctions qui sont précisément le fondement de la pensée démocratique.
L’islamisme radical, dans le cadre notamment d’une mondialisation aux conséquences sociales dévastatrices, risque, si nous ne nous y opposons pas avec force, de gagner les peuples Arabo-Musulmans dans le monde, avec son cortège de violence, de haine, de racisme, pour laquelle la lutte du peuple Palestinien sert à la fois de point d’ancrage et d’alibi pour un projet proclamé de pouvoir planétaire. Le mouvement Palestinien comme les mouvements progressistes ne doivent pas tomber dans ce piège. Le progressisme aujourd’hui doit clairement désigner le terrorisme et l’Islamisme comme ennemis des peuples Palestinien comme Israélien .
Or, malheureusement, force est de constater que ce n’est pas ce qui se produit. Ne voit-on pas en effet dans les manifestations de solidarité avec le peuple Palestinien flotter des drapeaux du djihad islamique ou des banderoles faisant le parallèle entre Israël et le nazisme, n’entend-on pas proférer des slogans antisémites, n’a t-on pas assisté , lors de la manifestation contre la guerre en Irak, à des agressions physiques contre des manifestants membres de L’HASHOMER HATZAIR mouvement de gauche se battant pour une paix Israëlo-Palestinienne, pour la seule raison qu’ils étaient juifs ? Certes, on nous rétorquera que ces incidents graves sont le fait de groupes minoritaires. Mais le simple fait qu’ils puissent s’exprimer montre que la solidarité avec le peuple Palestinien manque de clarté et ne se démarque pas assez de ce qu’il convient d’appeler le « fascisme vert ».La meilleure façon de s’en départir est de désigner l’islamisme radical et le terrorisme comme des ennemis au même titre que l’occupation des territoires. « Non à tous les terrorismes » et « deux Etats pour deux peuples » sont les slogans dont la gauche devrait se prévaloir non seulement parce qu’ils sont justes mais aussi parce qu’ils écarteront de fait la tendance islamiste totalitaire et violente du mouvement et permettront à la gauche de clairement s’en démarquer. Il faut définitivement renvoyer dos à dos les deux extrêmes que sont la politique guerrière du gouvernement SHARON d’une part et le terrorisme d’autre part. Tous deux éloignent voire anéantissent toute perspective de négociation.
Le terrorisme est un totalitarisme et donc l’ennemi de tout démocrate. Il n’est pas de bon terrorisme. Les attentats aveugles contre des populations civiles ne sont pas un mal nécessaire, un moyen qui justifierait une fin juste . Il est un mal en soi parce qu’il porte non seulement dans ses méthodes ultra violentes mais dans les buts qu’il poursuit, la destruction de toute humanité. « Non au terrorisme « et « non à la colonisation des territoires » devraient être les 2 mots d’ordre des démocrates. Qui peut en effet prétendre qu’un Etat pacifique et démocratique puisse naître un jour des massacres d’hommes, de femmes et d’enfants déchiquetés par des bombes humaines fanatisées et guidées par la haine absolue de toute vie humaine, y compris de la leur. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer ces crimes ignominieux. Il s’agit de désigner leurs auteurs et surtout ceux qui les y poussent comme des ennemis irréductibles du peuple Israélien comme des Palestiniens. Rien de bon pour les deux peuples ne pourra être construit sur les ruines de cette folie sanguinaire. La solidarité avec le peuple Palestinien qui évacue cette question est une solidarité qui se trompe de combat.
II. deuxième verrou idéologique : le refus du sionisme.
Au delà de son extrême violence et de l’idéologie qu’il véhicule, le terrorisme Palestinien est surtout à combattre parce qu’il est sous-tendu par une idée : celle que toute la Palestine appartient aux Palestiniens, que l’occupation Israélienne n’est pas seulement celle de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-est, mais elle est celle de toute la Palestine de la mer au Jourdain. Cette idéologie, dont ne s’est jamais totalement et réellement départi le mouvement Palestinien, nie l’existence de l’Etat d’Israël pour ne pas dire plus : la présence des Juifs sur la terre de Palestine. Et c’est contre cette idée qu’il faut absolument s’insurger. Le peuple juif a droit à un état au même titre que les Palestiniens. Tout mouvement pour la paix doit également combattre au nom de ce droit.
Lorsque A.GRESH affirme (1) que « il y a un occupant et un occupé. Je suis du
côté des occupés », de quelle occupation parle t-il ? De quels territoires occupés ? De toute la Palestine de la Méditerranée au Jourdain ou des territoires occupés par Israël depuis 1967 ? Tant que la définition claire de ce qu’il entend par Palestine n’aura pas été faite par le mouvement Palestinien , la paix ne sera pas possible. La nécessité d’une définition sans ambiguïté renvoie à la question essentielle suivante : la revendication du droit au retour des Palestiniens dans la Palestine historique. Cette idée qui existe dans le mouvement Palestinien comme dans une partie de la gauche est à bannir car elle signifie de facto le refus d’un Etat juif.
Certes A.GRESH rejette les partisans du droit inconditionnel au retour des réfugiés en Israël. Mais nous récusons la manière dont il le fait. Non, Monsieur GRESH, ce n’est pas parce que l’opinion Israélienne et la communauté internationale telle qu’elle existe, ne sont pas prêtes à soutenir un tel choix, ce n’est pas parce que « le rapport de force » n’est pas favorable,« notamment la force de l’alliance Israélo-Américaine »( soulignons au passage le terme d’alliance..), qu’il faut condamner cette idée. Ce que vous dîtes sous-entend (sous-entendu grave ) que si la communauté internationale était un peu plus prête, si le rapport de force était un peu plus favorable, cette idée pourrait avoir un fondement. Nous sommes ici au centre de nos divergences et au cœur du conflit Israélo-Palestinien. L’idée de retour des réfugiés est à condamner, non pour des raisons tactiques, mais parce qu’elle implique l’afflux très important de réfugiés Palestiniens dans les territoires d’avant 1967, ce qui signifie en clair, pour des raisons démographiques évidentes, la fin du caractère Juif de l’Etat d’Israël.
Cette idée qui renvoie au projet d’un Etat bi-national est absolument inacceptable aussi bien pour les Israéliens que pour les Juifs du monde entier, car il ne reconnaît pas aux Israéliens et aux Juifs le droit d’avoir leur propre Etat. Sans compter qu’ outre la perte du caractère Juif de l’Etat d’Israël, principe reconnu, rappelons-le, par l’ONU dès la création de l’Etat d’Israël (et d’ailleurs par l’ensemble de la gauche y compris le parti communiste), ce retour massif des réfugiés entraînerait des problèmes politiques, culturels, économiques et sociaux dont les Arabes Palestiniens seraient les premières victimes, et des conflits ethniques d’une tout autre gravité que ceux que l’on connaît aujourd’hui. Peut-on raisonnablement croire qu’après plus de 50 ans de guerre, de violence, de haine, les deux communautés pourraient par enchantement se réconcilier dans un Etat qui leur serait commun ? Cette idée est à proscrire, et encore une fois, A.GRESH , pas pour des raisons stratégiques. Il faut le dire très clairement plutôt que de le laisser espérer. Tout se passe comme si, et nous avons là un des démons d’une certaine gauche, pour « réparer » « l’injustice originelle »,oserons-nous dire « le pêché originel », qu’a constitué la création de l’Etat d’Israël, la gauche inconditionnellement pro-palestinienne tenterait ( nous évacuons ici encore une fois les arrières pensées..) avec acharnement, obsessionnellement pourrions nous dire, de trouver une solution radicale et « pure » permettant d’effacer d’un seul trait la souffrance du peuple Palestinien. On a pu voir, tout au long du 20° siècle , les terribles ravages qu’a pu produire cette exigence de pureté idéologique. Israël est une réalité indépassable non seulement en tant qu’Etat, mais également en tant qu’Etat juif. Il ne suffit pas de reconnaître le droit à l’existence d’Israël( merci pour lui mais Israël existe déjà depuis 55 ans et n’a pas besoin d’être « reconnu »).Ce qu’il faut c’est que le mouvement Palestinien et la gauche qui prétend le soutenir reconnaissent très clairement que le caractère juif de l’Etat d’Israël est une réalité indépassable et que la Palestine qu’ils revendiquent ce sont les territoires occupés depuis 1967.Ce qui implique de se démarquer radicalement des partisans de « la grande Palestine », de l’idée d’un Etat bi-national et donc de la revendication du droit au retour des Palestiniens, revendication perçue par les Israéliens comme une manière indirecte et sur le long terme de nier leur propre identité.
L’anti-sionisme est une négation de l’Etat d’Israël, et, à ce titre, il doit être condamné, Tout de gauche qu’il prétend être, il peut dangereusement rejoindre , et le rejoint parfois, le discours d’extrême droite et le discours Islamiste radical. Le combat Judéo-Palestinien pour la coexistence de deux Etats libres et indépendants, vivant en paix l’un à coté de l’autre, doit absolument se prémunir de toute fausse promesse , de toute démagogie, de toute corruption idéologique qui, sous prétexte de vouloir à juste titre défendre un peuple dominé, tomberait dans une sorte de populisme où se confondraient anti-sionisme, antisémitisme et lutte pour la liberté. La meilleure manière d’éviter ce piège, pour tous les partisans de la paix, est de se démarquer radicalement de toutes dérives de ce type. Il faut combattre l’anti-sionisme au même titre que la colonisation des territoires car cette idée est porteuse de destruction d’un Etat dont l’existence est encore une fois définitivement acquise. « Deux peuples, deux Etats », tel est le mot d’ordre à proclamer !
L’essence du sionisme est le droit imprescriptible du peuple Juif de posséder un Etat qui lui soit propre. Dénier ce droit est de la même logique que refuser au peuple Palestinien de posséder un Etat. Il faut que la gauche se débarrasse définitivement de cette gangue idéologique tiers-mondiste qui consiste à penser que l’Etat d’Israël, Etat du peuple Juif, est par essence colonialiste. Cette idée est non seulement fausse mais, surtout, elle crée une brèche béante dans laquelle s’insinuent antisémites et Islamistes radicaux de tous poils. Ce n ‘est que dans ce cadre que peut se comprendre cette sorte de connivence objective entre une certaine gauche et les mouvements ultra réactionnaires et antisémites que l’on a vu défiler a Paris. Pour se prémunir de ces dérives gravissimes, il faut une fois pour toutes que la gauche reconnaisse le sionisme comme mouvement de libération d’un peuple au même titre que le mouvement Palestinien et tous les autres mouvements de libération populaire. Pour ne pas perdre son âme, la gauche doit être, comme le proclame P.KLUGMAN , ancien responsable de l’U.E.J.F, pro-sioniste et pro-palestinienne.
III. Troisième verrou idéologique : « la question Juive ».
Le refus du sionisme découle ,à notre avis, de la vieille conception marxiste, reprise par une large partie de la gauche, selon laquelle la notion de juif est entendue principalement comme étant appartenance à la religion Juive .Le principe de laïcité reposant fondamentalement, et l’on ne peut bien sûr qu’en être d’accord, sur la séparation entre la sphère publique et la sphère privée, l ’assimilation est le seul horizon possible des Juifs non religieux. Il en découle que, si le sionisme devait avoir un sens, il ne pourrait être que religieux. Et en tant qu’ athée, ou tout au moins laïque, l’on ne peut décemment pas accepter la prétention du sionisme à la création d’un Etat sur des fondements religieux. Tout naturellement le glissement s’effectue vers le refus de la légitimité de l’Etat d’Israël. On parlera dès lors « d’erreur historique », de non-sens originel etc.. Et si L’Etat d’Israël a le droit d’exister ( merci pour lui ! ) ce n’est que parce qu’il est, disent-ils, une réalité incontournable. Ils ne parleront jamais de l’Etat d’Israël comme Etat Juif. Il est frappant de constater combien il leur est difficile d’accoler ces deux mots, et de concevoir que les Juifs du monde, croyants ou non croyants, pratiquant la religion ou non, se sentent un lien privilégié ou tout au moins particulier avec l’Etat d’Israël. Le fait même que ce sujet soit au centre de leurs écrits et de leurs prises de position, même très critique, ne prouve t-il d’ailleurs pas un attachement particulier et non avoué avec Israël ? Il est quand même surprenant de constater que tant de Juifs soient si diserts dans la dénonciation du sionisme et de l’Etat d’Israël.
Malheureusement, pendant ce temps, malgré les efforts de ces assimilationnistes , l’antisémitisme se poursuit. Mais pour eux, celui-ci ne peut être combattu qu’avec tous les autres citoyens républicains et au nom de la laïcité et de la démocratie. L’on ne peut bien entendu qu’être d’accord mais à une condition : se prémunir contre ce que craignait Léo STRAUSS : « Le juif déraciné, assimilé, n’a rien à opposer à la haine et au mépris que son moi nu … L’assimilation a exigé l’esclavage intérieur en paiement de la liberté extérieure ». L’assimilation s’accompagne ainsi d’un oubli de soi. voire pire, du mépris de soi et de son peuple. Car selon cette gauche, le juif, s’il n’est pas religieux, s’il n’appartient pas à cette catégorie parfaitement identifiable, n’aurait pas de moi propre. Il devrait, à la limite, disparaître, s’effacer, se diluer dans cette société unificatrice, uniformisatrice, dans cette masse informe et totalisante d’une laïcité mal comprise qui confond le refus justifié d’une prétention du religieux à imposer son hégémonie dans le domaine du politique, avec une laïcité qui nierait toute forme de particularisme.
Encore une fois, on ne tente de penser la « question juive » qu’à travers une grille de lecture qui n’est pas adaptée. La particularité du peuple juif n’entrant pas dans ce cadre de pensée, on tente dès lors à toutes forces, parfois avec violence, à l’y faire entrer coûte que coûte, quitte à la conjurer, voire à la nier et à refuser de voir tout ce qui pourrait en être les signes patents. « La gauche, nous dit F.FURET, n’appréhende l’histoire juive qu’à travers des traditions intellectuelles qui la nient . »
Si l’on se place dans la situation de la France d’aujourd’hui et de la crise antisémite qu’elle connaît depuis plus de deux ans, on comprend mieux, à la lumière de la pensée d’un Léo STRAUSS ou d’un François FURET , le sens que peuvent avoir les prises de position
De certains hommes et femmes de gauche, juives ou d’origine juive, telles qu’elles s’expriment par exemple dans la pétition « Une autre voix juive ». Devant l’évidence de l’échec de l ‘assimilation, de l’effacement, de la mise entre parenthèses de l’identité juive comme ils les ont rêvées, il y aurait un refus du sionisme dont on n’accepte pas qu’il puisse devenir un recours possible. Et plutôt que faire un retour sur soi, plutôt que de repenser la judéité au travers de catégories et de concepts différents, on va « résister » au sens psychanalytique, et s’atteler à une sorte de conjuration, de refus du réel.
Oh certes dira t-on, l’antisémitisme existe (comment en effet le nier ) ! Mais finalement,
Au bout du compte, il n’est pas si important que cela . Ne nous dira t-on pas que l’antisémitisme n’est finalement , ou presque , qu’une affaire de graffitis sur les murs.
Ou alors, on insistera sur l’antisémitisme de l’extrême droite. Il est quand même surprenant de voir apparaître dans la pétition « une autre voix juive » le fameux « détail de l’histoire » qui, si monstrueux qu’il soit , a été prononcé il y a plusieurs années , et que, depuis, d’autres évènements antisémites lui ont volé la vedette, si l’on peut dire. Oui mais voilà, ces incidents racistes, eux, sont le fait de populations dont nos schémas de pensée nous interdisent de concevoir qu’ils aient pu être commis par celles-ci. Stigmatiser à juste titre la droite et l’extrême droite, permet de se dédouaner des errements de ses propres catégories de pensée. La droite devient un alibi facile, un exutoire, et sa critique une stratégie d’évitement pour masquer à la fois ses propres erreurs politiques mais également, quand on est juif, sa propre judéité, ou plutôt son désespoir devant l’impossibilité de voir s’effacer son identité juive dans le moule unificateur de ce que l’on croît être la démocratie et la laïcité. C’est pourquoi, par exemple, D.VIDAL va consacrer plus de la moitié de son livre « le malaise des Juifs de France » à une critique de la droite et de l’extrême droite sans un mot sur l’attitude de la gauche, ou aux sites internet de groupuscules d’extrême droite juifs, sans au demeurant un seul mot en 130 pages sur les sites internet de propagande haineuse des islamistes à l’égard des Juifs.
De la même manière, plutôt que de désigner ces actes antisémites et stigmatiser les populations qui en sont responsables, on va s’adonner à dénoncer le CRIF et sa prétendue représentativité. Sans entrer dans la défense de cette institution, il faut tout de même préciser que le CRIF ne rassemble que des Juifs organisés. Il ne peut donc exprimer que l’opinion des juifs qui expriment leur judéité au travers d’une organisation religieuse ou non. On ne peut donc pas lui reprocher de ne pas exprimer l’opinion des Juifs non organisés. De plus, le CRIF est un organisme démocratique. Il évolue, sa direction change comme sa ligne politique. Les auteurs de ce manifeste l’auraient-ils critiquer avec autant de véhémence au temps de la présidence de Théo KLEIN, au temps où Leïla SHAHID, représentante de l’autorité Palestinienne en France, était invitée à son dîner annuel ? Mais plus dangereusement, on voit réapparaître ici la vieille idée du pouvoir comploteur, contre laquelle Claude LEFORT s ‘était dans « L’invention démocratique » insurgé en dénonçant « l’illusion de prêter à des dirigeants la faculté de s’approprier la conscience des masses qui les soutiennent ».
Plutôt que de dénoncer les actes antisémites graves qu’ont connus les Juifs de France ces derniers mois (on n’a pas beaucoup entendu sur ce chapitre nos pétitionnaires de « l’autre voix juive » au cours des deux années écoulées), on va considérer « les intimidations » subies par des démocrates comme en effet bien plus graves que des synagogues brûlées, des tombes profanées, des hommes et des femmes agressées, des « mort aux Juifs » quotidiens, des insultes permanentes, sans parler des croix gammées sur des drapeaux Israéliens et des partisans du djihad islamique ou du hamas dans les manifestations organisées par la gauche.
Plus grave encore, en plus de minorer l’antisémitisme actuel, en plus de ne voir que l’antisémitisme de l’extrême droite , on va stigmatiser la « montée en puissance de l’idéologie de l’ extrême droite Israélienne au sein des forces politiques Françaises »( les forces politiques Françaises apprécieront !) . On croît rêver lorsqu’on lit sous la plume de juifs de gauche que la droite Israélienne pratique « des ingérences criminogènes, anti-démocratiques dans la société Française », quand on lit noir sur blanc « que le gouvernement Israélien s’accommode des résurgences de l’antisémitisme ». On est en plein délire paranoïaque ! Au fond, les Juifs n’ont qu’à bien se tenir plutôt que de donner « un visage repoussant ». Juifs tenez-vous bien, si vous ne voulez pas être des victimes ! Non seulement ces gens-là n’ont décidément pas tiré les leçons de l’Histoire, mais plus grave encore reprennent à leur compte les phantasmes antisémites les plus éculés.
Il y a également, dans cette pétition, comme dans d’autres écrits, une autre manière habile
De nier la légitimité de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif. C’est celle qui consiste à faire croire que l’Etat d’Israël est né de la Shoah, « est né dans les conditions historiques laissées par les ruines du fascisme hitlérien ». Cette affirmation est une erreur historique grossière : rappelons que la population juive en 1940 comprenait 460 000 personnes. De plus comme le rappellent « les amis de Shalom Arshav » : « l’Etat d’Israël est la concrétisation du mouvement de libération nationale du peuple juif, généralement appelé sionisme, dont l’origine plonge ses racines dans l’histoire juive , et qui n’a pu s’exprimer politiquement qu’à partir de la fin du 19° siècle, à la suite des mouvements nationalistes qui se développaient en Europe à cette époque ». La Shoah, rajoutent t-ils, n’a fait que précipiter ce processus existant depuis longtemps. Cette négation permet d’avoir toute liberté pour mettre en cause le bien-fondé de l’Etat d’Israël à l’aide du discours suivant : Les palestiniens ne sont pas responsables du génocide juif. Ce qui est bien sûr vrai . Mais l’on rajoute immédiatement que la création de l’Etat d’Israël a entraîné une autre injustice pour la population Arabe qui était sur place. Ce que personne ne nie. Mais ceci ne remet pas en cause le sionisme et surtout ne justifie pas le discours qui en découle et que l’ on retrouve sous la plume de gens comme Edgar Morin (Le Monde du 4 juin 2002 : Israël-Palestine : le cancer) : « Les juifs qui furent humiliés, méprisés, persécutés humilient, méprisent, persécutent les Palestiniens …Les juifs, victimes de l’inhumanité, montrent une terrible inhumanité…Un peuple ayant subi les pires humiliations … se transforme en peuple méprisant ayant satisfaction à humilier ». Là, on n’a plus à faire à une protestation contre l’occupation de territoires par un Etat, mais à l’oppression et la haine d’un peuple contre un autre. Il n’y pas mieux pour exciter l’ antisémitisme des banlieues ! Tout d’un coup la gauche antisioniste fait le lien parce que cela l ‘arrange entre le peuple juif et l’Etat d’Israël ! Tout d’un coup on redécouvre que les Juifs sont un peuple ! Ce n’est plus un Etat qui occupe et opprime, ce n’est plus un gouvernement de droite qui pratique une politique de colonisation. Non, c’est un peuple ! Et ce n’est même pas le peuple Israélien ! Non, c’est le peuple juif, vous savez ce peuple, qui, sous prétexte de ses souffrances passées, commet les crimes les plus odieux 50 ans plus tard à l’encontre d’ un autre peuple. Et voilà comment, ces propos, qui se diffusent dans les médias, dans les écoles, dans le corps enseignant, dans les banlieues, dans les syndicats, dans les partis politiques , autorisent certains à arborer, dans des manifestations, en plein Paris, des drapeaux d’organisations terroristes, à se permettre des tabassages de jeunes Juifs pacifistes, à brûler des synagogues… Mais, voyons, penseront certains, puisque les juifs sont précisément des oppresseurs , on aurait tort de s’en priver !
Il n’y a pas si longtemps, la gauche était très fortement favorable au sionisme et à Israël. Au lendemain de la création de l’Etat d’Israël, le comité central du Parti Communiste ne vantait-il pas « la lutte héroïque du peuple juif pour son indépendance » ? Ce regard favorable sur le sionisme s’explique t-il par le fait que, comme le dit F.FURET : « Tant qu’Israël n’a été que l’image du malheur juif, la gauche n ‘a pas eu de mal à l’aimer… elle a besoin du malheur pour penser la particularité juive » ?. Et le malheur palestinien aurait dès lors pris la place du malheur juif dans l’imaginaire christique de la gauche.
Plutôt que de croire que les opprimés ont toujours raison, plutôt que de faire des comparaisons hasardeuses entre le conflit israélo-palestinien et d’autres conflits passés ( la guerre d’Algérie, l’apartheid en Afrique du sud …), plutôt que de plaquer des schémas de pensée sur des réalités complexes et spécifiques, la gauche doit une fois pour toutes reconnaître que le conflit israélo-palestinien est un conflit entre deux mouvements de libération nationale qui, tous deux, peuvent avoir aussi une dimension réactionnaire, raciste et expansionniste, et peuvent, tous deux, nier de manière violente, par une sorte de mimétisme destructeur, l’existence de l’autre et conduire chacun des deux peuples à un suicide collectif. A nous, mouvement démocratique et pacifique, par des prises de position et des attitudes dénuées de toute ambiguïté vis-à-vis des deux camps extrêmes, ennemis des deux peuples, d ‘aider à l’émergence d’un mouvement judéo-palestinien pour la paix condamnant la violence, la haine et appelant à la reconnaissance mutuelle des deux peuples .Or plusieurs initiatives ont été prises dans ce sens : les positions et les actions constantes du mouvement « La paix maintenant », le texte commun Nusseibeh-Ayalon, la feuille de route…. Pourquoi la GUPP ne soutient-elle pas ces prises de position et , pire, n’en parle quasiment jamais ? Pour notre part, tant qu’elle n’aura pas répondu à ces questions, et pris des positions sans aucune ambiguïté sur ce conflit, nous ne pourrons militer à ses côtés, même si nous partageons de nombreuses analyses sur d’autres sujets. Il en va en effet du sens de notre combat en tant que Juifs et en tant que militants de la paix et de la justice..
Alors rêvons , comme l’a souhaité Aurélie FILIPETTI , de voir un jour, à Paris comme ailleurs, flotter à la tête d’une manifestation pour une paix israélo-palestinienne le drapeau israélien et le drapeau Palestinien !
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(1) Interview dans la revue de l’U.E.J.F « Tohu-bohu » n° 3 de mai et juin 2003.
Suite à la publication sur notre site, du texte de Tony Fitoussi, sur « la gauche et le sionisme » , nous avons reçu la réponse suivante de Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint du Monde diplomatique. Nous la faisons suivre de la réponse de Tony Fitoussi.
Nous espérons l'incident clos.
De: Dominique Vidal <dominique.vidal@monde-diplomatique.fr>
Date: Dim 19 oct 2003 01:31:08 Europe/Paris
Objet: Une petite remarque
Chers Amis,
J'ai lu avec intérêt le texte de Tony Fitoussi sur "La gauche et le sionisme" que reproduit le site de l'AJHL.
Je suis toutefois surpris de l'"exécution" sommaire dont j'y suis victime. « Minorer ces évènements comme le fait par exemple D.VIDAL dans son livre Le mal-être des juifs de France..., est indigne », écrit l'auteur.
Tout ce qui est excessif ne compte pas, disait Talleyrand. Si vraiment mon livre était indigne, je ne pense pas qu'Isio Rosenman serait venu en débattre avec moi à la librairie Jonas, et que Meïr Waintrater aurait dialogué par deux fois publiquement avec moi, une fois sous les auspices d'Isio et d'Annie, une autre fois sous celles de... l'AJHL.
Sur le fond, je récuse cette accusation. Tout ma démarche consiste, au contraire, à souligner la gravité des violences anti-juives en France, tout en en proposant une analyse différente de celles d'Alain Finkielkraut ("L'année de cristal") ou de Pierre-André Taguieff (La "nouvelle judophobie" gauchiste, islamiste et altermondialiste).
Je ne demande pas à être cru sur parole: quiconque le souhaite peut se reporter, par exemple, à l'article de synthèse que j'ai consacré au rapport 2002 de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et aux deux émissions de "Là-bas si j'y suis" consacrées au débat autour de mon livre.
Les Internautes intéressés pourront consulter le premier ci-dessous et trouver les deux émissions en question sur le site http://lbsjs.free.fr/serie_israel.html - elles datent des 7 et 8 mai 2003.
J'ajoute que je reste très attentif à toutes les formes de provocations ou de dérives , que je m'efforce de combattre aussi efficacement que possible, qu'il s'agisse d'une agression contre de jeunes Juifs en marge d'une manifestion contre la guerre d'Irak d'appels au boycott des produits israéliens ou de la diffusion de textes antisémites d'un auteur russo-israélien converti au christianisme. A mes yeux, tous ceux qui dénoncent - à juste titre - la politique du général Ariel Sharon dans les teritoires (ré)occupés doivent se montrer d'une intransigeance exemplaire face à la judéophobie comme à l'arabophobie.
Bref, autant mes analyses s'inscrivent dans un large échange de vues et peuvent donc évidemment être contestées, autant prétendre que je "minore" les attaques antisémites relève d'une polémique stérile.
Je suis convaincu - et je l'écris dans Le Mal-être juif - que les Juifs laïques, dont les associations se multiplient à travers la France et ailleurs en Europe, ont mieux à faire. C'est aussi d'eux que dépend l'affirmation d'une autre voix juive.
Cordialement,
Dominique Vidal.
SUR FOND DE GUERRE EN IRAK
Violences antisémites
(4 avril 2003)
En un an, de 2001 à 2002, le nombre d'« actes racistes » a été multiplié par plus de quatre, et celui des « actes antisémites » par six - ces derniers en représentent désormais 62 % du total. Quant aux « menaces racistes », elles ont presque triplé, les menaces antisémites quadruplant (elles forment 73 % du total) (1). Telles sont les principales informations du rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), rendu public le 28 mars 2003. Ces chiffres, précisons-le, sont fondés sur les statistiques des Renseignements généraux du ministère de l'Intérieur.
La France est-elle emportée par une fièvre antisémite ? « Les violences, répond le rapport, ne semblent pas révéler un comportement de rejet dont seraient victimes les membres de la communauté juive dans l'ensemble de la société française. » De fait, comme les précédentes, l'enquête réalisée par BVA pour la commission reflète au contraire un rejet massif de l'antisémitisme. Trois exemples : 89 % des Français (2) considèrent que « les Français juifs sont des Français "comme les autres" » ; 87 % approuvent le principe de la restitution des biens juifs confisqués pendant la guerre ; et, interrogés sur le point de savoir si « l'on parlerait "trop" de l'extermination des juifs par les nazis », 17 % répondent « oui », mais 80 % « comme il faut », voire « pas assez ».
De ces réponses et d'autres, la chercheuse Nonna Mayer conclut qu'« entre 1988 et 2002, le noyau dur des antisémites convaincus (...) est resté remarquablement stable, aux alentours de 10 % ». Toutefois, analysant l'évolution des réponses, la chercheuse note, jusqu'en 2000, une certaine « libération de la parole » antisémite, « comme si la situation explosive au Proche-Orient et la réprobation suscitée par la politique d'Israël dans les territoires rejaillissaient négativement sur l'image de tous les Juifs ». Mais, conclut-elle, entre 2000 et 2002 (dès avant la présidentielle), cette tendance s'inverse, « comme si les violences répétées contre la communauté juive, loin d'attiser ou de banaliser l'antisémitisme, avaient fait prendre conscience du danger qu'il représente ».
La violence antisémite serait-elle le fait de l'extrême droite ? Selon le ministère de l'intérieur, autant cette dernière se manifestait, dans les années 1980, par « une idéologie antisémite virulente se concrétisant par une implication notable dans les actions visant la communauté juive », autant « ce thème tend, depuis quelques mois, à être abandonné au profit de la lutte contre l'immigration et le capitalisme, induisant, en fait, une diminution graduelle de l'implication de l'extrême droite dans les actions anti-juifs ». Les statistiques recensent certes des actions ou des menaces attribuées à l'extrême droite, mais très minoritaires.
S'agirait-il alors d'une poussée antisémite propre aux musulmans, aux Maghrébins ou aux Arabes ? Le Livre blanc de l'Union des étudiants juifs, publié début 2002, soulignait lui-même que les jeunes Maghrébins rejettent l'antisémitisme dans les mêmes proportions que les autres jeunes Français. Certes, le ministère de l'intérieur observe que les pires flambées de violence se sont produites à la fin de l'année 2000, après l'éclatement de la seconde Intifada, et au printemps 2002, lors de l'opération Rempart de l'armée israélienne contre les territoires autonomes. Il estime que l'escalade au Proche-Orient « a conduit nombre de jeunes à afficher une identification avec les combattants palestiniens, censés symboliser les exclusions dont eux-mêmes s'estiment victimes dans la société occidentale ». Mais il circonscrit beaucoup plus précisément le milieu dont proviennent les « auteurs des exactions recensées » : « Adolescents ou jeunes adultes, (ils) sont, en grande partie, issus de quartiers sensibles où demeurent leurs parents, bien souvent immigrés d'Afrique du Nord. »
Leur parcours, poursuit le ministère, « révèle aussi leur marginalité sociale : plusieurs d'entre eux sont déjà connus pour des faits de droit commun (...) et leurs "interventions" dans des écoles ou des crèches de la communauté israélite s'accompagnent souvent de cambriolages. Les modes opératoires sont en outre très souvent comparables à ceux utilisés dans les violences urbaines "classiques" ». Le rédacteur note ensuite que ces attaques ont « suscité de vives condamnations de la part des responsables des communautés musulmanes de France, si l'on excepte une minorité de radicaux islamistes dont le message - précise-t-il - demeure cependant peu audible pour des délinquants fréquemment imperméables aux idéologies et qui prennent habilement prétexte de la situation proche-orientale pour donner libre cours à leur violence ». Or, conclut sur ce point le ministère de l'intérieur, « les diverses exactions constatées impliquent très fréquemment des acteurs originaires des quartiers dits "sensibles", souvent délinquants de droit commun par ailleurs, qui essaient d'exploiter le conflit du Proche-Orient ».
Nous voici donc aux antipodes de la thèse d'Alain Finkielkraut, qui n'avait pas hésité à parler d'« Année de cristal (3) », mais aussi de celle, chère à Pierre-André Taguieff, d'une « nouvelle judéophobie » portée par les militants islamistes, altermondialistes, tiers-mondistes et antisionistes. Le principal terreau de cette violence, ce sont bien les ghettos de chômage, de misère où végète, sans le moindre espoir d'avenir, une partie de la jeunesse populaire, en premier lieu des jeunes issus de l'immigration.
Les auteurs d'attaques contre les personnes, les lieux de culte et les établissements d'enseignement juifs - comme musulmans - doivent évidemment être retrouvés, jugés et condamnés : c'est l'affaire de la police et de la justice (4). Le mouvement social ne saurait cependant leur déléguer ses propres responsabilités. Il est temps d'en finir avec l'abandon de ces quartiers et de ces cités. Par l'Etat, qui les laisse littéralement pourrir. Mais aussi par les forces de gauche, les syndicats, les associations... Ne pas aider ces jeunes, en premier lieu arabes et musulmans, à trouver leur place, avec leur personnalité, dans notre société, c'est aussi mettre cette dernière en danger. D'où la nécessité d'un dialogue confiant, constructif et sans concession.
De ce point de vue, le rapport de la CNCDH est également riche d'enseignements pour la grande mobilisation en cours contre la guerre d'Irak et en faveur d'une paix juste au Proche-Orient : c'est un appel à la vigilance à l'égard des dégénérescences racistes et notamment antisémites. L'ignoble agression de jeunes porteurs de kippa, en marge de la manifestation du 22 mars, représente un signal d'alarme. Si les propagandistes du général Ariel Sharon parvenaient à identifier le mouvement pacifiste aux sentiments et aux violences racistes, ils lui porteraient un coup sans doute fatal. C'est d'ailleurs pourquoi il est plus que jamais impératif d'écarter fermement tout mot d'ordre, toute forme d'action risquant de les alimenter.
Loin de semer la division et la haine, la mobilisation contre la guerre d'agression en Irak et contre l'offensive israélienne en Palestine entend rassembler tous les partisans d'une paix véritable, sur la base de principes universels et humanistes, au-delà de leurs différences d'origine, d'opinion et de religion...
DOMINIQUE VIDAL.
(1) Le nombre d'actes racistes est passé de 71 en 2001 à 313 en 2002, le nombre d'actes antisémites de 32 à 193 ; le nombre d'intimidations racistes de 350 à 992, le nombre d'intimidations antisémites de 184 à 731.
Cf. Commission nationale consultative des droits de l'homme, 2002 : la lutte contre le racisme et la xénophobie, Rapport d'activité, La Documentation française, Paris, 2003, 617 pages, 23 €
(2) En 1946, ils étaient... un peu plus d'un tiers.
(3) La « Nuit de cristal », organisée par le parti nazi le 9 novembre 1938, s'est soldée par l'assassinat de 91 Juifs, l'incendie de 191 synagogues, la mise à sac de 7 500 boutiques et la déportation de 20 000 Juifs.
(4) Police et justice devraient aussi s'intéresser plus activement aux violences des activistes du Betar et de la Ligue de défense juive, dont les exactions semblent bénéficier d'une étonnante tolérance.
http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/antisemitisme/
On trouvera sur le site d'Agone (http://www.atheles.org/agone/lemaletrejuif) plusieurs échos de presse sur mon livre, y compris une interview que j'ai donnée au site musulman Saphirnet.info. En voici les deux dernières question et réponses:
Les événements survenus lors de la manifestation du 22 mars dernier ont suscité bien des inquiétudes. Quelles précautions doivent êtres prises pour que ces manifestations pour la paix ne tournent pas à des démonstrations de haine ?
Qu'on agresse des adolescents parce qu'ils portent une kippa est ignoble - et j'ajoute absurde, s'agissant de sympathisants de l'Hachomer Hatzaïr, un mouvement sioniste de gauche qui défend l'instauration d'un État palestinien aux côtés d'Israël. Beaucoup d'indices laissent penser qu'il s'est agi d'une provocation montée par des militants d'extrême droite, y compris des négationnistes, sans doute en liaison avec des islamistes radicaux.
Le but était clair : discréditer le mouvement de solidarité avec la Palestine et le mouvement antiguerre en Irak en les présentant comme un rassemblement d'excités prêts à tous les débordements antisémites. Dès lors, les inconditionnels d'Israël auraient beau jeu de présenter quiconque critique la politique d'Ariel Sharon comme de dangereux antisémites !
En condamnant sans appel ces violences, totalement étrangères au mouvement, les organisateurs ont fait échouer la provocation. Il n'empêche qu'il reste beaucoup à faire pour écarter tout mot d'ordre, toute forme d'action susceptible d'alimenter l'antisémitisme et de verser de l'huile sur le feu des affrontements intercommunautaires dans lesquels nos adversaires rêvent évidemment de nous voir tomber. Ainsi certains diffusent via Internet des textes ouvertement antisémites, comme ceux de l'intellectuel juif russo-israélien Israël Shamir : ils ne peuvent, ce faisant, que susciter la réprobation générale et discréditer le combat pour le droit à l'autodétermination du peuple palestinien dont ils se réclament. D'autres appellent au boycott - illusoire, inefficace et dangereux - des produits israéliens au lieu de se battre pour la suspension de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël, que les amis d'Ariel Sharon redoutent plus que tout - Israël exporte 28 % de ses productions en Europe, et en importe 44 % de ses produits (2).
J'irai plus loin : certains axent leur action contre le sionisme, qu'il assimilent abusivement au nazisme. Je pense qu'ils ont tort. Notre bataille pour la paix au Proche-Orient est un combat politique, et non une querelle idéologique. Si nous voulons contribuer réellement à ce que la France et l'Europe pèsent enfin de tout leur poids dans le bon sens,nous n'avons pas d'autre priorité que de rassembler dans l'action tous ceux - indépendamment de leur appartenance, de leur religion et de leur sensibilité politique - qui veulent la création d'un État palestinien indépendant sur les territoires occupés par Israël en 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, la dissolution des colonies et une juste solution du problème des réfugiés.
La situation nationale et internationale nous interpelle tous, voyez-vous des exemples de « ponts » à créer, cercles de discussions ou autres à mener pour que les valeurs universelles, humanistes soient porteés d'une seule et même voix ?
La volonté de rassemblement dont je parlais suppose que se retrouvent des forces diverses, venues d'horizons divers. Il me semble en particulier indispensable de favoriser, dans la période à venir, le dialogue direct entre tous, y compris entre jeunes juifs et jeunes Arabes.
Il n'y a rien de tel que la rencontre face à face pour venir à bout des clichés et des a priori issus du passé. Rien de tel que la discussion pour inciter chacun à balayer devant sa porte - les préjugés anti-juifs d'un côté, les préjugés anti-Arabes de l'autre. Rien de tel enfin que ces retrouvailles pour découvrir tout ce qui unit les uns et les autres.
Un dernier mot. Dans mon esprit, ce qui peut rassembler jeunes progressistes juifs et musulmans, ce n'est pas seulement la bataille contre la guerre et pour la paix au Proche-Orient. C'est aussi le combat commun pour sortir enfin les ghettos de nos banlieues de leur misère et de leur ennui. C'est là un enjeu capital pour la société française dans son ensemble.
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Dominique Vidal est rédacteur en chef adjoint
au Monde diplomatique
1, avenue Stephen-Pichon, 75013 Paris
Tél. : 01 53 94 96 21 Fax : 01 53 94 96 21
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Réponse de Tony Fitoussi.
Dominique VIDAL,
J'ai pris connaissance de votre réaction à mon texte paru dans la lettre de l'AJHL.
Je veux bien reconnaître que le mot " indigne " est excessif. Il n’empêche que, même si ce n’est pas volontaire de votre part ( peut-être est-ce dû au fait que cet ouvrage est un assemblage de contributions diverses ?), on ne peut pas dire que votre livre, ce livre-là en l’occurrence, puisque c’est de lui que je parlais, insiste sur l’antisémitisme. Et pour un livre qui veut traiter du mal-être juif, c’est à mon avis une grosse erreur, surtout dans la période de tension extrême dans laquelle nous sommes. Et ceci ne m'empêche pas de dialoguer avec vous, comme l'ont fait Annie, Izio, ou Meïr Waintrater.
J'ai tenu à relire votre livre, pour vérifier mon sentiment initial. Il est plus que confirmé : ce livre, qui porte sur le "mal-être juif" et comporte 123 pages, ne consacre qu'une page et une seule ( dans l'introduction ) à la dénonciation de l'antisémitisme. Le reste de votre ouvrage ( que j'ai apprécié par ailleurs quand il parle des problèmes d'identité et de transmission ), quand il parle de l'antisémitisme, l'évoque soit pour dénoncer l'utilisation que vous prétendez que l'on en fait, soit pour affirmer que: "l'antisémitisme en France, selon toutes les enquêtes d'opinion, est devenu marginal" (p.9), ou que "les préjugés antisémites n'ont cessé de reculer" ( p.93 ).
70% des actes racistes violents, en 2002, étaient antisémites ! Je parle bien d'actes violents et je ne fais pas l'amalgame avec des graffitis antisémites ( comme vous reprochez au livre de SOS racisme et de l'UEJF," les antifeujs", de le faire ) .Et vous estimez ce pourcentage marginal ! Le moins que l’on puisse dire est que nous n'avons pas la même analyse de la situation actuelle.
Au fil de ma lecture, j'ai attendu impatiemment que vous dénonciez enfin l'antisémitisme, et le titre alléchant de " Hystérie sur internet " m'a poussé à me dire : " Il va peut-être enfin dénoncer l'antisémitisme !" Je me trompais: pas un seul mot, je dis bien pas un seul, sur les sites antisémites, islamistes ou autres : 8 pages sur les sites juifs de droite ou d'extrême droite. Pas un seul nom de site anti-juif , alors qu'ils fleurissent! Pour un livre qui traite du "mal-être juif", c'est un manque que je trouve choquant.
Finalement, ce qui ressort de ce livre, c'est que, réprouvant, et on peut le comprendre, l’utilisation abusive que l’on peut faire de l’antisémitisme, la réelle souffrance que vivent les juifs de France depuis 3 ans, est réduite à la portion congrue ( encore une fois dans ce livre). Ce n’est pas parce que l’on utilise l’antisémitisme que celui-ci n’est pas réel, profond et douloureux. Comme ce n’était pas, il a quelques années, parce que la droite utilisait la critique du régime soviétique à son profit que cette critique n’était pas justifiée. Nous en avons eu, hélas, la sinistre preuve. Lorsqu’on utilise des expressions comme "une lancinante campagne de manipulation des esprits" dont "l'objectif est de tenter de rattraper le terrain perdu pour le gouvernement israélien dans l'opinion publique française" et "la stratégie, aligner le gros de la "communauté juive" pour mieux peser sur les médias ( et sur les responsables politiques)" (p.10), On risque de prêter le flanc, à des organisations ou des personnes mal intentionnées qui elles pensent et affirment qu’il existe un " lobby juif ".
En admettant que "toute votre démarche consiste à souligner la gravité des violences anti-juives en France", et je le crois, encore une fois, cela n'apparaît pas du tout dans le livre dont nous discutons.
De plus, après avoir cité abondamment Tarik Ramadan dans votre livre, ce qui est votre droit le plus strict, dans une tribune de "Rouge", vous qualifiez, et c’est moi à présent qui suis indigné, à propos de son texte sur les intellectuels juifs ou prétendus tels, et qui fleurent l'antisémitisme , de "maladresse insigne la référence à la judéité de ces intellectuels".
Y'a t-il une différence entre un Ramadan qui stigmatise des intellectuels pour leurs prétendues positions sur différents conflits, alors qu'elles sont différentes d'une personne à l'autre, uniquement parce qu'ils sont juifs, ou qu’il les croit tels, et la stigmatisation faite par un Le Pen " de Juifs trop nombreux dans la presse "? La réponse est claire : IL N'Y A AUCUNE DIFFERENCE ! Si T.Ramadan ne cite que les intellectuels juifs qu'il livre à la vindicte populaire, c'est parce que c'est le caractère juif ( ou qu'il croit juif ) de ces intellectuels qu'il voulait désigner.
C'est pourquoi, Dominique Vidal, apporter sa caution à T.Ramadan, en ne voyant pas l'antisémitisme de ce propos et en parlant de " maladresse", l'accepter comme membre à part entière de la famille progressiste et altermondialiste, c'est non seulement se condamner à ne pas comprendre le mal-être juif, mais aussi c'est risquer d'entraîner la dite famille, à laquelle nous estimons appartenir tous les deux, dans des voies dangereuses. C'est, en tout cas, au nom de la défense de ces deux dimensions de mon engagement, l'engagement juif et le combat pour un autre monde, que j'ai réagi à votre livre.
Tony FITOUSSI
Suite au Texte signé T.F. relatif à l'appel "Une Autre Voix Juive", nous avons reçu la réponse suivante de Pascal Lederer, un des initiateur de cet appel.
Sur un commentaire tout en nuances, de T. F. , sur « Une autre voix juive ».
Le texte intitulé « A propos de la pétition « Une autre voix juive » », publié dans le bulletin de l’AJHL sous la signature de T.F., se propose « d’analyser en substance ce qui est dit dans la pétition publiée dans le Monde ».
On pourrait se féliciter qu’un dialogue critique s’instaure, que l’on tente de cerner points d’accord et points de désaccord, entre gens de bonne volonté. Malheureusement, T.F. ne facilite pas les choses. Passant sur le fait que le manifeste UAVJ place la « recrudescence d’actes antisémites » parmi ses premières raisons de prendre la parole, avec « l’horreur devenue quotidienne au Proche-Orient », T.F. commence par un long passage où il détaille les manifestations récentes de l’antisémitisme en France, en reprochant à UAVJ de les passer sous silence. Il s’en autorise pour accuser les signataires d’indifférence à ces faits gravissimes ! S’agit-il là d’un procédé honnête ? Ou de supputations gratuites et insultantes ? Et pourquoi, après avoir détaillé les augmentations inquiétantes d’actes antisémites au cours des dernières années, feint-il d’ignorer qu’un sondage récent et fiable montre que plus de 80 % de Français « ont de la sympathie pour les Juifs » ? Que l’antisémitisme de la vieille droite pétainiste persiste au niveau des 10 % ? Suivant un récent sondage, 59% des Européens (55% des Français) considèrent qu’Israël est actuellement le pays le plus dangereux pour la paix . Tout ceci montre que les Français et les Européens, loin d’être submergés par une vague d’antisémitisme, voient la politique du gouvernement Sharon pour ce qu’elle est, c’est à dire une politique de guerre et d’oppression. Ce gouvernement est, à lui seul, la cause principale du développement d’actes antisémites dans le monde ! Mais T. F. n’en veut rien savoir, semble-t-il. L’augmentation en France des actes antisémites est surtout le fait de petits délinquants qui puisent dans le conflit du moyen orient des métaphores pour exprimer leur inadaptation sociale. En revanche, aucun démocrate, Juif ou non, ne pourrait souscrire à la demande faite par T. F. de « stigmatiser les populations responsables de ces actes antisémites » (les italiques sont de moi). Quelles populations ? Suivez le regard de T.F….Celui-ci. sait-il qu’il est passible, pour ce petit passage, d’inculpation pour incitation à la haine raciale ? En ce qui concerne les violences racistes et antisémites en France, je renvoie pour les données statistiques au Droit de réponse de Dominique Vidal sur ce site. En ce qui concerne l’appréciation qu’en ont les signataires d’UAVJ, ils ont clairement exprimé leur inquiétude devant la conjonction du vieil antisémitisme de l’extrême droite, de « la montée des menaces intégristes, chauvines, communautaristes, racistes et antisémites » et des conséquences en France du conflit israélo-palestinien.
Reste que pour T.F., la « droite » (UAVJ met en cause « l’extrême droite »…) est un « alibi facile…pour masquer son désespoir devant l’impossibilité d’effacer son identité juive(sic !) ». Il considère que le « détail de l’histoire » est une vieille lune… Quel aveuglement, alors que plus de 5 millions de Français ont apporté leur vote à un parti dont l’ossature s’appelle négationnisme et antisémitisme !
Serait-ce que l’indulgence de T. F. pour l’extrême droite juive, dont il ne dit mot, déborde jusqu’à fermer les yeux sur l’extrême droite tout court ?
Poursuivons la lecture de T.F.. . Il prétend trouver une protestation dans UAVJ contre la « montée en puissance de l’idéologie de l’extrême droite israélienne au sein DES forces politiques françaises » . Seulement, la pseudo citation est une falsification ! Le manifeste parle « DE forces politiques françaises ». T. F. voit-il la différence ? Eh bien oui, UAVJ s’insurge contre l’indulgence DE forces politiques devant une propagande israélienne qui veut faire d’Israël le protecteur et le représentant de tous les Juifs, alors que son gouvernement pratique-- en leur nom par conséquent-- une politique de suppression des droits d’un peuple. Alors que des forces –politiques ou communautaires--en Israël, aux USA, et ailleurs, notamment en France, à la direction actuelle du CRIF par exemple, s’efforcent partout-- avec succès depuis 50 ans--d’inculquer au monde l’idée d’une solidarité existentielle entre Juifs de la diaspora et gouvernement d’Israël, que ces forces se conjuguent avec les préjugés du vieil antisémitisme meurtrier –pas mort du tout-, tout montre combien la gauche israélienne, et les vrais démocrates de par le monde, ont raison de combattre un gouvernement qui donne d’Israël « un visage repoussant ». Mais il montre aussi quels dangers menacent la diaspora dès lors que l’homme de la rue, indigné par la situation faite au peuple palestinien, tombe dans le panneau et identifie chaque Juif comme co-responsable de ces souffrances. Combien de crimes à venir, contre des Juifs innocents qui n’ont aucune part dans la politique de Sharon, combien de tabassages, d’incendies de synagogues concrétiseront-ils cette identification pour peu que les violences de l’occupation continuent? Qui agit pour contrebattre, s’il n’est pas trop tard, ces idées qui menacent tous les Juifs, quelles que soient leurs idées ? A quoi sert de dénoncer si fort la montée des eaux, alors que l’on maintient ouvertes les vannes de l’inondation, et que l’on s’en prend à ceux qui tentent de colmater les digues ? En vérité, il est triste, il est lamentable, que par un sentiment de solidarité dévoyé, certains de nos concitoyens juifs, au lieu de se désolidariser publiquement et fortement d’une politique qui mène, en même temps, la Palestine et Israël à leur perte, préfèrent accuser d’antisémitisme ceux qui, défendant les droits nationaux palestiniens, défendent, ce faisant, l’avenir et l’honneur d’Israël
Il serait fastidieux de reprendre ligne par ligne les excès de T.F., qui risque des poursuites pour diffamation en laissant entendre que les signataires d’UAVJ,(« ces gens là », merci pour eux, merci pour les signataires juifs héros de la résistance, merci pour les victimes du génocide, etc.), « reprennent à leur compte les fantasmes antisémites les plus éculés ». Passons sur le procédé consistant à citer une expression inadmissible d’Edgar Morin, ou quelques expressions qui appartiennent à d’autres, pour mieux discréditer …UAVJ ! Cela s’appelle de l’amalgame, mais ce n’est qu’une goutte dans l’océan de la mauvaise foi de T.F. Passons sur la sempiternelle agression par l’analyse sauvage. Je préfère terminer cette réponse par une discussion sur un vrai débat
T.F. considère comme allant de soi que l’Etat d’Israël n’est légitime qu’en tant qu’Etat juif. Il aurait pu citer UAVJ qui fait état de la diversité d’opinions de ses signataires sur le sionisme, ce qui n’est pas précisément l’indice du « rejet violent » dont il parle. Mais il tient pour perverse l’affirmation par UAVJ des droits nationaux (donc le droit à un Etat aux frontières sûres et reconnues) du peuple israélien, « dans le cadre des résolutions de l’ONU ». Il y a là entre T.F. et UAVJ, en effet, une divergence fondamentale. « Le sionisme est mort, et ses agresseurs sont au gouvernement à Jérusalem, ». Celui qui a dit cela s’appelle Abraham Burg. Un « pervers habile », qui « résiste au sens psychanalytique » selon T. F. ? Pour en finir avec les massacres, en Palestine et en Israël, avec la misère, l’humiliation et les souffrances des uns, la terreur et les souffrances des autres, pour atteindre enfin une paix qui assure le respect des droits nationaux de tous au Moyen Orient, faudrait-il au préalable se prosterner devant le dogme intouchable du sionisme ? Eh bien non, cette querelle, que T. F. et Shalom Arshav entretiennent, est dépassée. Il existe une légalité internationale, il existe des droits reconnus par la communauté des nations, qui s’expriment par la Charte de l’ONU. C’est parce qu’il existe un peuple israélien –à travers un processus historique complexe où le génocide a joué un rôle indiscutable-- que celui ci a droit, comme tout peuple, à un Etat. Voilà ce qui fonde une légitimité internationale inattaquable, et qui n’a rien à voir avec une mystique d’essence religieuse. T. F. ironise bien légèrement sur « l’universalité des droits humains et des droits des peuples ». C’est peut-être, bien que Juif, qu’il a tout simplement tourné le dos à l’humanisme et la laïcité.