La gauche et le sionisme.
par Tony Fitoussi
Un certain nombre d’évènements et d’écrits parus
récemment nous donnent l’occasion de faire un point
indispensable sur ce qui nous distingue, nous Juifs laïques de
gauche, sur le conflit Israélo-Palestinien, d’une certaine
gauche telle qu’elle s’exprime entres autres dans les revues
d’extrême gauche ou dans Le Monde diplomatique, dans les partis
tels que les verts, le parti communiste, ou chez certains socialistes,
dans la mouvance alter-mondialiste ou encore dans des
pétitions telles que « une autre voix juive »,
gauche que nous appellerons, pour les besoins de l’exposé, la
G.U.P.P, la gauche uniquement pro-palestinienne. Pour cet article, nous
nous sommes appuyés essentiellement sur un texte d’A.GRESH paru
dans le courriel d’information d’ATTAC N°367 intitulé
« le mouvement antimondialisation libérale et la Palestine
», texte particulièrement représentatif du courant
alter-mondialiste, mais aussi plus largement d’une grande partie de la
gauche.
C’est en tant que Juifs tout d’abord que nous
voulons nous exprimer, en faisant le constat de ce que nous
vivons en France depuis plus de deux ans. En tant qu’hommes et femmes
de gauche ensuite, en appelant la gauche à faire sauter un
certain nombre de verrous idéologiques(deux verrous au moins)
qui la rendent, à notre sens, incapable d’appréhender le
conflit Israélo-palestinien de manière correcte et qui
l’amènent parfois sur des voix extrêmement
dangereuses.
Une petite remarque au préalable.
L’antisémitisme de gauche, qui existe de toute évidence,
même s’il se dissimule derrière des causes en apparence
plus nobles, n’est pas ici notre propos. Il mériterait à
lui seul un dossier à part. Le but de cet article, qui veut
éviter le simplisme, la polémique et les
phantasmes, est d’aborder les questions de fond et,
pourquoi pas, d’entamer un dialogue avec les gens de bonne foi se
réclamant de cette gauche...
A. L’INQUIETUDE DES JUIFS DE FRANCE
Ce que vivent la plupart des juifs de France depuis plus de 2
ans peut se résumer en un mot : l’inquiétude. Beaucoup
d’entre nous n’ont personnellement jamais été
victimes de l’antisémitisme jusqu’à ces derniers temps
et, pour la première fois, ont été pris
d’une peur liée à leur origine. Certes ce n’est pas
l’Allemagne des années 1930. Certes de nombreuses
communautés vivent le racisme et la xénophobie au
quotidien, et depuis plus longtemps. Que l’antisémitisme puisse
être instrumenté, et ce n’est pas notre avis,
n’empêche rien. La peur est là, elle existe, elle a des
fondements et son expression mérite d’être entendue et
expliquée. D ‘autant que cette peur a été
accentuée par le sentiment d’une politique de
l’autruche des pouvoirs publics (de gauche) et le silence assourdissant
des Médias sur les réelles agressions subies par la
communauté Juive. C’est donc en tant que Juifs très
affectés par les évènements récents en
France que nous voudrions nous exprimer sur ce conflit,
l’inquiétude n ‘excluant pas la lucidité.
Il faut dire avec force, même si cela dérange :
pendant 2 ans des attentats antisémites ont été
commis, car c’est comme cela que cela s’appelle, et, pour la
plupart, par des membres de la communauté
Arabo-Musulmane, car c’est d’eux dont il s’agit. Les statistiques des
deux dernières années sont formelles. Minorer ces
évènements comme le fait par exemple D.VIDAL dans son
livre « le mal-être des juifs de France... »,
est indigne. Bien sûr de multiples explications peuvent
être apportées :Misère sociale et culturelle,
échec de l’intégration, auquel au demeurant
la mondialisation libérale ne serait d’ailleurs pas
étrangère, sur-médiatisation du conflit ( il
serait d’ailleurs intéressant de savoir pourquoi)…Il
n’empêche, ces actes sont des actes racistes et doivent
être condamnés comme tels. Or qu’a t-on entendu, pour ne
prendre qu’un seul exemple, en lieu et place de condamnations nettes et
sans ambiguïté :des propos scandaleux dignes du meilleur
cru de la glorieuse époque stalinienne. Tenus par qui ? Un
éminent récent responsable d’ATTAC. J’ai nommé
José BOVE.Affirmer, comme il l’a fait, que ces agressions
antisémites relevaient d ‘un complot fomenté par le
Mossad Israélien, en plus d’être stupide, ne pouvait
dangereusement qu’encourager, surtout dans la période où
ils ont été prononcés, ces agressions
judéophobes ? On n’a malheureusement rien entendu ni lu,
venant d’ATTAC, qui condamne les propos de BOVÉ, propos qui sont
l’exemple même des travers que l’association s’est
elle-même donné comme mission de combattre : la
pensée unique. Bien au contraire, quelques jours plus tard,
José BOVE était promu au rang de membre permanent de
l’association.
C ‘est parce que nous avons été
profondément affectés en tant que juifs de gauche par
l’attitude de la gauche, c’est parce que nous voyons autour de nous des
amis et des proches, anciens militants de partis ou d’associations
progressistes s’en éloigner de plus en plus, pour le moins
désemparés par leurs prises de position et/ou leurs
actions, que nous nous croyons le droit et le devoir d’appeler la
gauche à un retour urgent sur elle-même et à faire
son aggiornamento.
B. LES VERROUS IDEOLOGIQUES DE LA GAUCHE.
I. Premier verrou : la
faiblesse de son analyse sur les mouvements d’émancipation
nationale.
Il est frappant de constater le peu d ‘enseignement que la
gauche a tiré des échecs des mouvements
d’émancipation nationale.
Ainsi pour ce qui concerne le mouvement Palestinien, un constat
s’impose dont il est urgent de tirer les leçons. Si l’on peut
penser que le mouvement Palestinien était il y a quelques
années dominé par une vision progressiste de l’avenir de
la région à l’image de ce que furent les
différents mouvements de libération nationale, on peut
affirmer aujourd’hui qu’y sont prépondérants les
courants, islamistes ou pas, qui ont opté pour le terrorisme,
idéologie totalement contraire à toute
idée de progrès, de paix et de démocratie. Ces
courants sont représentés par le HAMAS, le DJIHAD
ISLAMIQUE, et le HEZBOLLAH, mais également par une frange
importante de l’O.L.P.
Quelles que soient les explications, et elles existent, que l’on peut
donner à la progression du terrorisme, islamiste ou non, il ne
peut en aucune manière souffrir la moindre justification. Il
doit, une fois pour toutes, être considéré
comme l’ennemi absolu de tout démocrate épris de paix.
Rien ne le justifie, même pas la souffrance sociale.
Rappelons-nous le nazisme et le fascisme, dans les années
1930, ont également prospéré sur le terreau de la
misère sociale. Le front national a progressé lui
aussi dans une France qui est passée en 30 ans de 250000
à 3 millions de chômeurs .Sont-ils justifiables pour un
démocrate.
Le rapport D’AMNESTY INTERNATIONAL rendu public le 11 juillet 2002
affirme : « les attaques contre des civils menées par des
groupes armés palestiniens…constituent, au regard du droit
international des crimes contre L’humanité ». Cette
qualification a été reprise par HUMAN RIGHTS et tout
récemment par MEDECINS SANS FRONTIERE.
L’histoire nous a apporté un enseignement essentiel que tous les
démocrates doivent absolument prendre à leur compte, sous
peine de perdre leur âme : tout mouvement de révolte
contre la misère, l’exploitation, la colonisation, peut prendre
deux formes totalement opposées : une forme progressiste et une
forme réactionnaire .Lutter pour la liberté, la paix et
la justice sociale, c’est aussi avoir le courage d’affronter ce dernier
courant avec autant de force que l’on combat l’oppresseur. Etre
progressiste c’est aussi savoir dire que les opprimés n’ont pas
toujours raison, que la forme que peut parfois prendre leur
combat, peut avoir des conséquences pires que l’oppression
qu’ils subissent. Apprenons à dire, une fois pour toutes, que le
meilleur comme le pire peut se trouver dans les mouvements qui se
réclament de l’émancipation des peuples.
Comme l’affirme à juste titre Alain GRESH sans malheureusement
en tirer toutes les conséquences : « il faut savoir tirer
les leçons de l’histoire … De l’Algérie au Vietnam en
passant par l’Angola, la guerre de libération a
entraîné la militarisation du politique. ». «
Quand l’opprimé prend les armes au nom de la justice, nous dit
A.CAMUS, il fait un pas sur la terre de l’injustice ».
Lucide quant au danger, pour l’avenir des peuples qui luttent pour leur
libération, de la violence, en tant qu’elle
préfigure le régime politique mis en place par la suite,
GRESH ne va pas jusqu’au bout dans la mesure où il refuse
l’idée que tous les combats aux apparences libératrices
peuvent prendre des formes dangereuses pour la liberté, la
démocratie et la paix. Ce qu’il n’ose pas s’avouer,
prisonnier qu’il est d’une certaine vision de la libération des
peuples, celle des années 1960, c’est que le mouvement
Palestinien a pris une tournure dangereuse, de plus en plus
influencé par la mouvance islamiste radicale.
Force est de constater que, dans le monde
Arabo-Musulman, et le mouvement Palestinien n’est pas
épargné, s’est très fortement
développée l’influence de l’islamisme radical, une
idéologie religieuse ultra réactionnaire, totalitaire,
anti-occidentale et judéophobe (Pour s’en convaincre, il n’est
que de lire, par exemple la charte du Hamas). Je partage le point de
vue de Jean DANIEL lorsqu’il affirme, dans un éditorial
consacré à A.CAMUS, que la « philosophie
tiers-mondiste qui consiste à uniformiser toutes les
révoltes en les expliquant par une relation de
l’opprimé avec l’oppresseur, si justifiée qu’elle demeure
en bien des domaines, est loin de rendre compte de l’émergence
des renaissances religieuses… », notamment,
rajouterons-nous, quand ces renaissances religieuses concernent
une religion, l’Islam, qui ne fait pas la distinction entre pouvoir
spirituel et pouvoir temporel , entre le religieux et le laïque,
entre le public et le privé, distinctions qui sont
précisément le fondement de la pensée
démocratique.
L’islamisme radical, dans le cadre notamment d’une
mondialisation aux conséquences sociales
dévastatrices, risque, si nous ne nous y opposons pas avec
force, de gagner les peuples Arabo-Musulmans dans le monde, avec son
cortège de violence, de haine, de racisme, pour laquelle la
lutte du peuple Palestinien sert à la fois de point d’ancrage et
d’alibi pour un projet proclamé de pouvoir planétaire. Le
mouvement Palestinien comme les mouvements progressistes ne doivent pas
tomber dans ce piège. Le progressisme aujourd’hui doit
clairement désigner le terrorisme et l’Islamisme comme ennemis
des peuples Palestinien comme Israélien .
Or, malheureusement, force est de constater que ce n’est pas ce qui se
produit. Ne voit-on pas en effet dans les manifestations de
solidarité avec le peuple Palestinien flotter des drapeaux
du djihad islamique ou des banderoles faisant le parallèle entre
Israël et le nazisme, n’entend-on pas proférer des slogans
antisémites, n’a t-on pas assisté , lors de la
manifestation contre la guerre en Irak, à des agressions
physiques contre des manifestants membres de L’HASHOMER HATZAIR
mouvement de gauche se battant pour une paix
Israëlo-Palestinienne, pour la seule raison qu’ils étaient
juifs ? Certes, on nous rétorquera que ces incidents graves sont
le fait de groupes minoritaires. Mais le simple fait qu’ils
puissent s’exprimer montre que la solidarité avec le peuple
Palestinien manque de clarté et ne se démarque pas assez
de ce qu’il convient d’appeler le « fascisme vert ».La
meilleure façon de s’en départir est de désigner
l’islamisme radical et le terrorisme comme des ennemis au même
titre que l’occupation des territoires. « Non à tous les
terrorismes » et « deux Etats pour deux peuples »
sont les slogans dont la gauche devrait se prévaloir non
seulement parce qu’ils sont justes mais aussi parce qu’ils
écarteront de fait la tendance islamiste totalitaire et violente
du mouvement et permettront à la gauche de clairement s’en
démarquer. Il faut définitivement renvoyer dos à
dos les deux extrêmes que sont la politique guerrière du
gouvernement SHARON d’une part et le terrorisme d’autre part. Tous deux
éloignent voire anéantissent toute perspective de
négociation.
Le terrorisme est un totalitarisme et donc l’ennemi
de tout démocrate. Il n’est pas de bon terrorisme. Les attentats
aveugles contre des populations civiles ne sont pas un mal
nécessaire, un moyen qui justifierait une fin juste . Il est un
mal en soi parce qu’il porte non seulement dans ses méthodes
ultra violentes mais dans les buts qu’il poursuit, la destruction de
toute humanité. « Non au terrorisme « et « non
à la colonisation des territoires » devraient être
les 2 mots d’ordre des démocrates. Qui peut en effet
prétendre qu’un Etat pacifique et démocratique puisse
naître un jour des massacres d’hommes, de femmes et d’enfants
déchiquetés par des bombes humaines fanatisées et
guidées par la haine absolue de toute vie humaine, y compris de
la leur. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer ces crimes
ignominieux. Il s’agit de désigner leurs auteurs et surtout ceux
qui les y poussent comme des ennemis irréductibles du peuple
Israélien comme des Palestiniens. Rien de bon pour les deux
peuples ne pourra être construit sur les ruines de cette folie
sanguinaire. La solidarité avec le peuple Palestinien qui
évacue cette question est une solidarité qui se trompe de
combat.
II.
deuxième verrou idéologique : le refus du sionisme.
Au delà de son extrême violence et de
l’idéologie qu’il véhicule, le terrorisme Palestinien est
surtout à combattre parce qu’il est sous-tendu par une
idée : celle que toute la Palestine appartient aux Palestiniens,
que l’occupation Israélienne n’est pas seulement celle de la
Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-est, mais elle est celle de
toute la Palestine de la mer au Jourdain. Cette idéologie,
dont ne s’est jamais totalement et réellement départi le
mouvement Palestinien, nie l’existence de l’Etat d’Israël pour ne
pas dire plus : la présence des Juifs sur la terre de
Palestine. Et c’est contre cette idée qu’il faut absolument
s’insurger. Le peuple juif a droit à un état au
même titre que les Palestiniens. Tout mouvement pour la paix doit
également combattre au nom de ce droit.
Lorsque A.GRESH affirme (1) que « il y a un
occupant et un occupé. Je suis du
côté des occupés », de quelle occupation
parle t-il ? De quels territoires occupés ? De toute la
Palestine de la Méditerranée au Jourdain ou des
territoires occupés par Israël depuis 1967 ? Tant que la
définition claire de ce qu’il entend par Palestine n’aura pas
été faite par le mouvement Palestinien , la paix ne sera
pas possible. La nécessité d’une définition sans
ambiguïté renvoie à la question
essentielle suivante : la revendication du droit au retour des
Palestiniens dans la Palestine historique. Cette idée qui existe
dans le mouvement Palestinien comme dans une partie de la gauche est
à bannir car elle signifie de facto le refus d’un Etat juif.
Certes A.GRESH rejette les partisans du droit
inconditionnel au retour des réfugiés en Israël.
Mais nous récusons la manière dont il le fait. Non,
Monsieur GRESH, ce n’est pas parce que l’opinion Israélienne et
la communauté internationale telle qu’elle existe, ne sont pas
prêtes à soutenir un tel choix, ce n’est pas parce que
« le rapport de force » n’est pas favorable,«
notamment la force de l’alliance Israélo-Américaine
»( soulignons au passage le terme d’alliance..), qu’il faut
condamner cette idée. Ce que vous dîtes sous-entend
(sous-entendu grave ) que si la communauté internationale
était un peu plus prête, si le rapport de force
était un peu plus favorable, cette idée pourrait avoir un
fondement. Nous sommes ici au centre de nos divergences et au cœur du
conflit Israélo-Palestinien. L’idée de retour des
réfugiés est à condamner, non pour des raisons
tactiques, mais parce qu’elle implique l’afflux très important
de réfugiés Palestiniens dans les territoires d’avant
1967, ce qui signifie en clair, pour des raisons démographiques
évidentes, la fin du caractère Juif de l’Etat
d’Israël.
Cette idée qui renvoie au projet d’un Etat
bi-national est absolument inacceptable aussi bien pour les
Israéliens que pour les Juifs du monde entier, car il ne
reconnaît pas aux Israéliens et aux Juifs le droit
d’avoir leur propre Etat. Sans compter qu’ outre la perte du
caractère Juif de l’Etat d’Israël, principe reconnu,
rappelons-le, par l’ONU dès la création de l’Etat
d’Israël (et d’ailleurs par l’ensemble de la gauche y compris le
parti communiste), ce retour massif des réfugiés
entraînerait des problèmes politiques, culturels,
économiques et sociaux dont les Arabes Palestiniens seraient les
premières victimes, et des conflits ethniques d’une tout
autre gravité que ceux que l’on connaît aujourd’hui.
Peut-on raisonnablement croire qu’après plus de 50 ans de
guerre, de violence, de haine, les deux communautés pourraient
par enchantement se réconcilier dans un Etat qui leur serait
commun ? Cette idée est à proscrire, et encore une fois,
A.GRESH , pas pour des raisons stratégiques. Il faut le
dire très clairement plutôt que de le laisser
espérer. Tout se passe comme si, et nous avons là un des
démons d’une certaine gauche, pour « réparer
» « l’injustice originelle »,oserons-nous dire
« le pêché originel », qu’a constitué
la création de l’Etat d’Israël, la gauche
inconditionnellement pro-palestinienne tenterait ( nous évacuons
ici encore une fois les arrières pensées..) avec
acharnement, obsessionnellement pourrions nous dire, de trouver une
solution radicale et « pure » permettant d’effacer d’un
seul trait la souffrance du peuple Palestinien. On a pu voir, tout au
long du 20° siècle , les terribles ravages qu’a
pu produire cette exigence de pureté idéologique.
Israël est une réalité indépassable non
seulement en tant qu’Etat, mais également en tant qu’Etat juif.
Il ne suffit pas de reconnaître le droit à l’existence
d’Israël( merci pour lui mais Israël existe
déjà depuis 55 ans et n’a pas besoin d’être
« reconnu »).Ce qu’il faut c’est que le mouvement
Palestinien et la gauche qui prétend le soutenir reconnaissent
très clairement que le caractère juif de l’Etat
d’Israël est une réalité indépassable et que
la Palestine qu’ils revendiquent ce sont les territoires occupés
depuis 1967.Ce qui implique de se démarquer radicalement des
partisans de « la grande Palestine », de l’idée d’un
Etat bi-national et donc de la revendication du droit au retour des
Palestiniens, revendication perçue par les Israéliens
comme une manière indirecte et sur le long terme de nier leur
propre identité.
L’anti-sionisme est une négation de l’Etat
d’Israël, et, à ce titre, il doit être
condamné, Tout de gauche qu’il prétend être, il
peut dangereusement rejoindre , et le rejoint parfois, le
discours d’extrême droite et le discours Islamiste radical.
Le combat Judéo-Palestinien pour la coexistence de deux Etats
libres et indépendants, vivant en paix l’un à coté
de l’autre, doit absolument se prémunir de toute fausse promesse
, de toute démagogie, de toute corruption idéologique
qui, sous prétexte de vouloir à juste titre
défendre un peuple dominé, tomberait dans une sorte de
populisme où se confondraient anti-sionisme,
antisémitisme et lutte pour la liberté. La
meilleure manière d’éviter ce piège, pour
tous les partisans de la paix, est de se démarquer radicalement
de toutes dérives de ce type. Il faut combattre l’anti-sionisme
au même titre que la colonisation des territoires car cette
idée est porteuse de destruction d’un Etat dont l’existence est
encore une fois définitivement acquise. « Deux peuples,
deux Etats », tel est le mot d’ordre à proclamer !
L’essence du sionisme est le droit imprescriptible
du peuple Juif de posséder un Etat qui lui soit propre.
Dénier ce droit est de la même logique que refuser au
peuple Palestinien de posséder un Etat. Il faut que la gauche se
débarrasse définitivement de cette gangue
idéologique tiers-mondiste qui consiste à penser que
l’Etat d’Israël, Etat du peuple Juif, est par essence
colonialiste. Cette idée est non seulement fausse mais, surtout,
elle crée une brèche béante dans laquelle
s’insinuent antisémites et Islamistes radicaux de tous poils. Ce
n ‘est que dans ce cadre que peut se comprendre cette sorte de
connivence objective entre une certaine gauche et les mouvements ultra
réactionnaires et antisémites que l’on a vu
défiler a Paris. Pour se prémunir de ces dérives
gravissimes, il faut une fois pour toutes que la gauche reconnaisse le
sionisme comme mouvement de libération d’un peuple au même
titre que le mouvement Palestinien et tous les autres mouvements de
libération populaire. Pour ne pas perdre son âme, la
gauche doit être, comme le proclame P.KLUGMAN , ancien
responsable de l’U.E.J.F, pro-sioniste et
pro-palestinienne.
III.
Troisième verrou idéologique : « la question
Juive ».
Le refus du sionisme découle ,à notre avis, de
la vieille conception marxiste, reprise par une large partie de
la gauche, selon laquelle la notion de juif est entendue principalement
comme étant appartenance à la religion Juive .Le
principe de laïcité reposant fondamentalement, et
l’on ne peut bien sûr qu’en être d’accord, sur la
séparation entre la sphère publique et la
sphère privée, l ’assimilation est le seul horizon
possible des Juifs non religieux. Il en découle que, si le
sionisme devait avoir un sens, il ne pourrait être que
religieux. Et en tant qu’ athée, ou tout au
moins laïque, l’on ne peut décemment pas accepter la
prétention du sionisme à la création d’un
Etat sur des fondements religieux. Tout naturellement le
glissement s’effectue vers le refus de la
légitimité de l’Etat d’Israël. On parlera dès
lors « d’erreur historique », de non-sens originel etc.. Et
si L’Etat d’Israël a le droit d’exister ( merci pour lui ! ) ce
n’est que parce qu’il est, disent-ils, une réalité
incontournable. Ils ne parleront jamais de l’Etat d’Israël
comme Etat Juif. Il est frappant de constater combien il leur est
difficile d’accoler ces deux mots, et de concevoir que les Juifs du
monde, croyants ou non croyants, pratiquant la religion ou non, se
sentent un lien privilégié ou tout au moins particulier
avec l’Etat d’Israël. Le fait même que ce sujet
soit au centre de leurs écrits et de leurs prises de position,
même très critique, ne prouve t-il d’ailleurs pas un
attachement particulier et non avoué avec Israël ? Il
est quand même surprenant de constater que tant de Juifs
soient si diserts dans la dénonciation du sionisme et de
l’Etat d’Israël.
Malheureusement, pendant ce temps,
malgré les efforts de ces assimilationnistes ,
l’antisémitisme se poursuit. Mais pour eux, celui-ci ne peut
être combattu qu’avec tous les autres citoyens
républicains et au nom de la laïcité et de la
démocratie. L’on ne peut bien entendu qu’être d’accord
mais à une condition : se prémunir contre ce que
craignait Léo STRAUSS : « Le juif déraciné,
assimilé, n’a rien à opposer à la haine et au
mépris que son moi nu … L’assimilation a exigé
l’esclavage intérieur en paiement de la liberté
extérieure ». L’assimilation s’accompagne ainsi d’un oubli
de soi. voire pire, du mépris de soi et de son peuple. Car
selon cette gauche, le juif, s’il n’est pas religieux, s’il
n’appartient pas à cette catégorie parfaitement
identifiable, n’aurait pas de moi propre. Il devrait, à la
limite, disparaître, s’effacer, se diluer dans cette
société unificatrice, uniformisatrice, dans cette masse
informe et totalisante d’une laïcité mal comprise qui
confond le refus justifié d’une prétention du religieux
à imposer son hégémonie dans le domaine du
politique, avec une laïcité qui nierait toute forme de
particularisme.
Encore une fois, on ne tente de penser la « question juive
» qu’à travers une grille de lecture qui n’est pas
adaptée. La particularité du peuple juif n’entrant pas
dans ce cadre de pensée, on tente dès lors à
toutes forces, parfois avec violence, à l’y faire entrer
coûte que coûte, quitte à la conjurer, voire
à la nier et à refuser de voir tout ce qui pourrait en
être les signes patents. « La gauche, nous dit F.FURET,
n’appréhende l’histoire juive qu’à travers des traditions
intellectuelles qui la nient . »
Si l’on se place dans la
situation de la France d’aujourd’hui et de la crise antisémite
qu’elle connaît depuis plus de deux ans, on comprend mieux,
à la lumière de la pensée d’un Léo
STRAUSS ou d’un François FURET , le sens que peuvent avoir
les prises de position
De certains hommes et femmes de gauche, juives ou d’origine juive,
telles qu’elles s’expriment par exemple dans la pétition «
Une autre voix juive ». Devant l’évidence de
l’échec de l ‘assimilation, de l’effacement, de la mise entre
parenthèses de l’identité juive comme ils les ont
rêvées, il y aurait un refus du sionisme dont on n’accepte
pas qu’il puisse devenir un recours possible. Et plutôt que faire
un retour sur soi, plutôt que de repenser la
judéité au travers de catégories et de concepts
différents, on va « résister » au sens
psychanalytique, et s’atteler à une sorte de conjuration, de
refus du réel.
Oh certes dira t-on,
l’antisémitisme existe (comment en effet le nier ) ! Mais
finalement,
Au bout du compte, il n’est pas si important que cela . Ne nous dira
t-on pas que l’antisémitisme n’est finalement , ou presque ,
qu’une affaire de graffitis sur les murs.
Ou alors, on insistera sur
l’antisémitisme de l’extrême droite. Il est quand
même surprenant de voir apparaître dans la pétition
« une autre voix juive » le fameux « détail de
l’histoire » qui, si monstrueux qu’il soit , a été
prononcé il y a plusieurs années , et que, depuis,
d’autres évènements antisémites lui ont
volé la vedette, si l’on peut dire. Oui mais voilà, ces
incidents racistes, eux, sont le fait de populations dont nos
schémas de pensée nous interdisent de concevoir qu’ils
aient pu être commis par celles-ci. Stigmatiser à
juste titre la droite et l’extrême droite, permet de se
dédouaner des errements de ses propres catégories de
pensée. La droite devient un alibi facile, un exutoire, et sa
critique une stratégie d’évitement pour masquer à
la fois ses propres erreurs politiques mais également, quand on
est juif, sa propre judéité, ou plutôt son
désespoir devant l’impossibilité de voir s’effacer son
identité juive dans le moule unificateur de ce que l’on
croît être la démocratie et la laïcité.
C’est pourquoi, par exemple, D.VIDAL va consacrer plus de la
moitié de son livre « le malaise des Juifs de France
» à une critique de la droite et de l’extrême
droite sans un mot sur l’attitude de la gauche, ou aux sites internet
de groupuscules d’extrême droite juifs, sans au demeurant un seul
mot en 130 pages sur les sites internet de propagande haineuse des
islamistes à l’égard des Juifs.
De la même manière, plutôt que de
désigner ces actes antisémites et stigmatiser les
populations qui en sont responsables, on va s’adonner à
dénoncer le CRIF et sa prétendue
représentativité. Sans entrer dans la défense de
cette institution, il faut tout de même préciser que le
CRIF ne rassemble que des Juifs organisés. Il ne peut donc
exprimer que l’opinion des juifs qui expriment leur
judéité au travers d’une organisation religieuse ou
non. On ne peut donc pas lui reprocher de ne pas exprimer l’opinion des
Juifs non organisés. De plus, le CRIF est un organisme
démocratique. Il évolue, sa direction change comme sa
ligne politique. Les auteurs de ce manifeste l’auraient-ils
critiquer avec autant de véhémence au temps de la
présidence de Théo KLEIN, au temps où Leïla
SHAHID, représentante de l’autorité Palestinienne en
France, était invitée à son dîner annuel ?
Mais plus dangereusement, on voit réapparaître ici la
vieille idée du pouvoir comploteur, contre laquelle Claude
LEFORT s ‘était dans « L’invention
démocratique » insurgé en
dénonçant « l’illusion de prêter à des
dirigeants la faculté de s’approprier la conscience des masses
qui les soutiennent ».
Plutôt que de dénoncer les actes antisémites
graves qu’ont connus les Juifs de France ces derniers mois (on n’a pas
beaucoup entendu sur ce chapitre nos pétitionnaires de «
l’autre voix juive » au cours des deux années
écoulées), on va considérer « les
intimidations » subies par des démocrates comme en effet
bien plus graves que des synagogues brûlées, des tombes
profanées, des hommes et des femmes agressées, des
« mort aux Juifs » quotidiens, des insultes permanentes,
sans parler des croix gammées sur des drapeaux Israéliens
et des partisans du djihad islamique ou du hamas dans les
manifestations organisées par la gauche.
Plus grave encore, en plus de minorer
l’antisémitisme actuel, en plus de ne voir que
l’antisémitisme de l’extrême droite , on va stigmatiser la
« montée en puissance de l’idéologie de l’
extrême droite Israélienne au sein des forces politiques
Françaises »( les forces politiques Françaises
apprécieront !) . On croît rêver lorsqu’on lit sous
la plume de juifs de gauche que la droite Israélienne pratique
« des ingérences criminogènes,
anti-démocratiques dans la société
Française », quand on lit noir sur blanc « que
le gouvernement Israélien s’accommode des résurgences de
l’antisémitisme ». On est en plein délire
paranoïaque ! Au fond, les Juifs n’ont qu’à bien se tenir
plutôt que de donner « un visage repoussant ». Juifs
tenez-vous bien, si vous ne voulez pas être des victimes ! Non
seulement ces gens-là n’ont décidément pas
tiré les leçons de l’Histoire, mais plus grave encore
reprennent à leur compte les phantasmes
antisémites les plus éculés.
Il y a également, dans cette pétition,
comme dans d’autres écrits, une autre manière habile
De nier la légitimité de l’Etat d’Israël en tant
qu’Etat juif. C’est celle qui consiste à faire croire que l’Etat
d’Israël est né de la Shoah, « est né dans les
conditions historiques laissées par les ruines du fascisme
hitlérien ». Cette affirmation est une erreur historique
grossière : rappelons que la population juive en 1940 comprenait
460 000 personnes. De plus comme le rappellent « les amis
de Shalom Arshav » : « l’Etat d’Israël est la
concrétisation du mouvement de libération nationale du
peuple juif, généralement appelé sionisme, dont
l’origine plonge ses racines dans l’histoire juive , et qui n’a pu
s’exprimer politiquement qu’à partir de la fin du 19°
siècle, à la suite des mouvements nationalistes qui se
développaient en Europe à cette époque ». La
Shoah, rajoutent t-ils, n’a fait que précipiter ce
processus existant depuis longtemps. Cette négation permet
d’avoir toute liberté pour mettre en cause le bien-fondé
de l’Etat d’Israël à l’aide du discours suivant : Les
palestiniens ne sont pas responsables du génocide juif. Ce qui
est bien sûr vrai . Mais l’on rajoute immédiatement que la
création de l’Etat d’Israël a entraîné une
autre injustice pour la population Arabe qui était sur place. Ce
que personne ne nie. Mais ceci ne remet pas en cause le sionisme
et surtout ne justifie pas le discours qui en découle et
que l’ on retrouve sous la plume de gens comme Edgar Morin (Le
Monde du 4 juin 2002 : Israël-Palestine : le cancer) : « Les
juifs qui furent humiliés, méprisés,
persécutés humilient, méprisent,
persécutent les Palestiniens …Les juifs, victimes de
l’inhumanité, montrent une terrible inhumanité…Un peuple
ayant subi les pires humiliations … se transforme en peuple
méprisant ayant satisfaction à humilier ».
Là, on n’a plus à faire à une protestation contre
l’occupation de territoires par un Etat, mais
à l’oppression et la haine d’un peuple
contre un autre. Il n’y pas mieux pour exciter l’ antisémitisme
des banlieues ! Tout d’un coup la gauche antisioniste fait le lien
parce que cela l ‘arrange entre le peuple juif et l’Etat d’Israël
! Tout d’un coup on redécouvre que les Juifs sont un peuple ! Ce
n’est plus un Etat qui occupe et opprime, ce n’est plus un gouvernement
de droite qui pratique une politique de colonisation. Non, c’est un
peuple ! Et ce n’est même pas le peuple Israélien ! Non,
c’est le peuple juif, vous savez ce peuple, qui, sous prétexte
de ses souffrances passées, commet les crimes les plus odieux 50
ans plus tard à l’encontre d’ un autre peuple. Et voilà
comment, ces propos, qui se diffusent dans les médias,
dans les écoles, dans le corps enseignant, dans les banlieues,
dans les syndicats, dans les partis politiques , autorisent certains
à arborer, dans des manifestations, en plein Paris, des drapeaux
d’organisations terroristes, à se permettre des tabassages de
jeunes Juifs pacifistes, à brûler des synagogues… Mais,
voyons, penseront certains, puisque les juifs sont
précisément des oppresseurs , on aurait tort de s’en
priver
!
CONCLUSION
Il n’y a pas si longtemps, la gauche était
très fortement favorable au sionisme et à
Israël. Au lendemain de la création de l’Etat
d’Israël, le comité central du Parti Communiste ne
vantait-il pas « la lutte héroïque du peuple juif
pour son indépendance » ? Ce regard favorable sur le
sionisme s’explique t-il par le fait que, comme le dit F.FURET :
« Tant qu’Israël n’a été que l’image du
malheur juif, la gauche n ‘a pas eu de mal à l’aimer… elle a
besoin du malheur pour penser la particularité juive » ?.
Et le malheur palestinien aurait dès lors pris la place du
malheur juif dans l’imaginaire christique de la gauche.
Plutôt que de croire que les opprimés
ont toujours raison, plutôt que de faire des comparaisons
hasardeuses entre le conflit israélo-palestinien et d’autres
conflits passés ( la guerre d’Algérie, l’apartheid en
Afrique du sud …), plutôt que de plaquer des schémas de
pensée sur des réalités complexes et
spécifiques, la gauche doit une fois pour toutes
reconnaître que le conflit israélo-palestinien est un
conflit entre deux mouvements de libération nationale qui, tous
deux, peuvent avoir aussi une dimension réactionnaire, raciste
et expansionniste, et peuvent, tous deux, nier de manière
violente, par une sorte de mimétisme destructeur, l’existence de
l’autre et conduire chacun des deux peuples à un suicide
collectif. A nous, mouvement démocratique et pacifique, par des
prises de position et des attitudes dénuées de toute
ambiguïté vis-à-vis des deux camps extrêmes,
ennemis des deux peuples, d ‘aider à l’émergence
d’un mouvement judéo-palestinien pour la paix condamnant
la violence, la haine et appelant à la reconnaissance mutuelle
des deux peuples .Or plusieurs initiatives ont été prises
dans ce sens : les positions et les actions constantes du mouvement
« La paix maintenant », le texte commun Nusseibeh-Ayalon,
la feuille de route…. Pourquoi la GUPP ne soutient-elle pas ces prises
de position et , pire, n’en parle quasiment jamais ? Pour notre part,
tant qu’elle n’aura pas répondu à ces questions, et pris
des positions sans aucune ambiguïté sur ce conflit,
nous ne pourrons militer à ses côtés,
même si nous partageons de nombreuses analyses sur d’autres
sujets. Il en va en effet du sens de notre combat en tant que Juifs et
en tant que militants de la paix et de la justice..
Alors rêvons , comme l’a souhaité
Aurélie FILIPETTI , de voir un jour, à Paris comme
ailleurs, flotter à la tête d’une manifestation pour une
paix israélo-palestinienne le drapeau israélien et le
drapeau Palestinien !
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(1) Interview dans la revue de l’U.E.J.F « Tohu-bohu »
n° 3 de mai et juin 2003.